On a tremblé au Japon…
Stupeur et tremblements de terre
Jeudi 14 avril 2016 au soir, la terre a tremblé dans la région de Kumamoto sur l’île de Kyushu au Japon. Après une première secousse d’intensité 7 (selon l’échelle sismique de l’agence météorologique japonaise), les répliques se sont poursuivies toute la nuit ainsi que durant la journée du lendemain. Dans la nuit de vendredi à samedi 16 avril 2016 un tremblement de terre d’intensité 6+ a à nouveau eu lieu dans la même région. Nous y étions.
Trembler d’étonnement
Nous avions passé la journée de jeudi à gravir les monts Takadake et Nakadake pour découvrir le volcan Aso, le volcan le plus actif du Japon. Le soir, avec autant de dénivelé dans les jambes et de vues magnifiques dans les yeux, il était plus que temps de se reposer pour être prêts pour le lever de soleil sur la caldeira prévu le lendemain matin.
Nous n’avions pas pensé que notre soirée serait bousculée par des tremblements de terre…
Des éclats de voix venaient d’avoir eu lieu et j’ai cru l’espace d’un minuscule instant que des personnes couraient violemment dans la maison et faisaient vibrer le plafond. Puis la réalité nous est parue évidente : la terre était en train de trembler.
La maison s’est mise à grincer, à bouger, à nous impressionner. Cependant, le temps de comprendre et de se demander comment réagir, le calme était déjà presque revenu. Par la fenêtre, j’ai observé les voisins : ils étaient dans leur salon comme si de rien n’était. Notre hôte nous a rassuré et nous a dit grâce à google traduction que c’était tout de même un tremblement de terre assez fort. En observant le site de la Japan Meteorological Agency nous avons vu qu’il avait pour épicentre Kumamoto. Pour nous à Aso, le degré de l’intensité de la secousse ressentie était de 5-, ce qui selon l’échelle de la JMA se traduit par “intensité forte – la plupart des gens essaient d’échapper au danger, certains trouvant qu’il est difficile de bouger.”
Nous avons la chance en France de ne connaître les tremblements de terre que par le biais de la télévision. Alors du coup à part le fait de savoir qu’il faut se mettre sous son bureau (mais dans une chambre en tatami, on se met où ?) et qu’on entend parler de répliques, tout cela reste très abstrait. Il y a donc beaucoup de choses qui m’auront étonnées. Tout d’abord, le calme apparent des japonais qui semblent tout de même assez habitués (nous dialoguions en ligne avec deux amis japonais qui nous expliquaient qu’au Japon c’est normal et que les bâtiments sont construits pour résister). Ensuite, j’ai été effrayée par le bruit que l’on a entendu lors de la secousse, bruit dû aux torsions de la maison. Enfin, je ne réalisais pas qu’un tremblement de terre, c’est long, très long… Non seulement le moment en lui-même paraît interminable, mais surtout la succession des répliques semble ne jamais vouloir s’arrêter. Durant la nuit je n’ai pas pu compter le nombre de fois où j’ai sursauté dans mon futon : certainement au moins une vingtaine de fois d’après les relevés disponibles…
À 5h30, comme prévu, nous sommes allés voir le lever de soleil. Moi qui n’avais pas vraiment dormi car j’étais sur le qui vive prête à décamper, j’ai alors réalisé que les japonais ne semblaient pas très perturbés. Il n’y avait aucun dégât visible, les magasins ouverts 24h/24h l’étaient toujours et la ville commençait doucement à se réveiller comme un matin ordinaire. Pour moi la dose de sensations et d’inquiétudes était bien assez forte, j’aurais pu m’arrêter là.
Trembler de peur
Nous avions prévu de rester une dernière journée à Aso pour profiter de ce cadre très agréable sans faire de rando. Entre une balade en ville à pieds, un petit coup de vélo dans la caldeira, nous n’avons pas vu la journée passer et vu la sérénité de tous, c’est bien plus rassurée que la veille que je suis allée dormir. Cette fois je n’avais pas mon sac prêt avec les habits à portée de mains…
À 1h25 du matin, la terre s’est mise à trembler avec une intensité de 6+, intensité considérable (toujours selon l’échelle en shindo). Réveillés en sursaut en plein cauchemar. Difficulté de comprendre que la réalité peut être si violente. Qu’est ce qui m’a réellement réveillé : le vacarme assourdissant, les secousses effroyables, les cris de Nico qui tentait de se faire entendre ? La panique est montée en un instant. Nous sommes dans le noir, je ne vois rien, n’entend que les hurlements terribles de la maison, les objets qui tombent et qui se brisent : sont-ce des objets ou la maison qui s’écroule ? J’essaie de m’habiller, je ne trouve rien, tout bouge de trop. Je tremble avec le sol mais d’effroi également. Nico veut sortir, je veux me cacher, me protéger. Cette fois c’est sûr, la maison ne résistera pas, elle va nous tomber dessus…
Non, heureusement non. Cela nous a semblé si long avant que cette première vague ne s’arrête. Sauf que maintenant on le sait, cela va recommencer et ce sera peut-être pire. On suit notre hôte dans la rue : toutes les maisons semblent encore debout mais de nombreux débris jonchent le sol. Des tuiles cassées sont éparpillées partout, les vélos sont à terre, les pots de fleurs sont renversés… Partout autour de nous, les détecteurs de tremblement terre portatifs continuent de donner l’alerte. Beaucoup de japonais sont sortis, certains paraissent très calmes, ce qui est loin d’être mon cas. Notre hôte semble aussi prendre sur elle mais nous dit de préparer nos affaires : j’ai du mal à bourrer les sacs car je ne veux pas rester un instant de plus dans la maison, je veux partir au plus vite pour ne plus rien avoir au dessus de la tête. En réalité je voudrais partir immédiatement sans mes affaires, je n’en ai pas besoin ! Nous sommes tous les trois en entier, cela suffit ! On prend donc tout de même nos sacs dans l’urgence la plus extrême, un bidon d’eau, des couvertures et on monte dans la voiture.
Le stress retombe un peu pour moi quand enfin nous sommes exactement là où cela me semble le plus sécuritaire : sur un très grand parking avec rien d’autre autour de nous que les voitures des personnes fuyant leurs maisons comme nous. Dans la voiture, je jette de temps à autre des coups d’œil suspicieux au volcan qu’on ne distingue absolument pas dans le noir : ne t’avise pas de faire des tiennes toi… Heureusement que je ne vois pas qu’il a commencé une petite éruption ! La nuit est interminable. Nous sommes secoués à de multiples reprises, dont une fois avec une intensité égale à celle qui nous a réveillé : 6+. Notre hôte démarre en trombe en pensant que nous sommes sur une faille. Non, nous sommes justes secoués comme tous les autres : les voitures se soulèvent tout autour de nous. Nous attendons. Je suis épuisée, le sommeil me rattrape et je m’étonne moi même : dormir dans un moment pareil ? Mais qu’avons-nous d’autre à faire ? À espérer ? À attendre ? Mais attendre quoi ?
S’enfuir et réfléchir
La nuit fut longue et riche en réflexions mais aussi en interrogations. Qu’allons-nous découvrir avec le jour qui pointe ? Qu’est-ce que je fais là ? Où allons-nous aller ? Où ai-je envie d’aller ? Comment allons-nous y aller ?
Au petit jour, nous retournons donc à la guest house : je suppose que ce fut un moment assez dur pour notre hôte qui a certes retrouvé sa maison debout mais complètement dévastée. C’était aussi très difficile pour moi : nous avons toutes nos affaires avec nous, nous allons très bien et rien ne nous retient ici. J’ai peur que cela continue, j’ai peur que le volcan ne se réveille davantage, je n’ai qu’à partir et fuir ce lieu. Mais elle ? Et tous les autres ? Bref, c’est certes égoïstement rassurée mais le coeur lourd que je quitte cet endroit que j’ai tant apprécié les quelques jours précédents.
Dans le village, plus d’eau ni d’électricité, de nombreuses tuiles sont tombées, des routes sont fissurées, les feux de circulation sont éteints, le pont a travaillé mais tient encore debout, des panneaux ont été tordus, les maisons neuves semblent intactes mais les plus anciennes ont davantage souffert mais toutes sont debout. Les habitants sont déjà à pied d’œuvre pour dégager les voies de circulation et ramassent les débris à la pelle. Je regarde le volcan d’un mauvais œil car il dégage beaucoup de fumée grise.
Évidemment, les trains et les bus sont suspendus. Nous avions de toute façon prévu de partir en stop et repéré un bon emplacement. Nous avons à peine le temps de tendre le pouce qu’une automobiliste s’arrête pour nous prendre. Son 4×4 est rempli de bric à brac : elle part au plus vite de cette région car elle commence à avoir trop peur et va plus à l’est chez ses parents. Parfait, nous allons au même endroit. Je suis inquiète de ce que nous allons trouver sur le chemin. De vieux bâtiments tordus, une grange totalement effondrée, une route coupée, beaucoup de murets à terre, des vitres brisées, tous les magasins cette fois fermés et surtout des queues incroyables aux stations essence : il y a comme un air de film catastrophe avec la foule qui tente de fuir… Dans la voiture, la télévision diffuse les images de la ville de notre conductrice filmées par hélicoptère. À seulement deux kilomètres de là, à Aso Minami, les dégâts sont considérables : un pan entier de la montagne s’est effondré provoquant la destruction d’un pont et d’un tunnel. Là-bas, de nombreuses habitations ont été détruites… Pourtant après quelques minutes de route, les feux de circulation fonctionnent à nouveau et il n’y parait déjà presque plus rien. Cent kilomètres plus loin à Beppu, les touristes vont tranquillement se baigner dans les onsen !
Nous embarquons alors sur le ferry reliant Beppu à Yawatahama : nous ne sommes pas les seuls touristes et comprenons que comme nous, certains fuient Kyushu pour poursuivre leur voyage plus sereinement, ailleurs. À bord du bateau (très confortable, le “japanese style” nous ayant permis de récupérer un peu de cette nuit atroce) je me sens entre deux eaux.
Pour la première fois de ma vie, je fuis un endroit où je n’ai plus envie d’être, où je ne me sens pas en sécurité. Je voyage pour m’éloigner, aller autre part au plus vite où j’imagine être mieux, plus loin du danger. Mais j’ai le choix de le faire, j’en ai la capacité, la possibilité. Et je pense alors à tous ceux dans le monde qui ne le peuvent pas, ici peut-être, mais surtout ailleurs et dans d’autres circonstances… Alors oui, j’ai eu très peur cette nuit mais j’ai juste eu peur. Pour moi, c’est déjà fini.
2 thoughts on “On a tremblé au Japon…”
eh bien , après avoir lu votre aventure , je suis encore plus inquiet pour vous les aventuriers. prenez soin de vous…
Oulala je suis rassuré que vous soyez sains et saufs … Rien que ton article m’a énormément stressé je n’ose pas imaginer sur place. On pense à vous !